Ermin Yang

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Par Marie-Christine Natta (*)

Une vocation précoce

Ermin Yang est un artiste que les arts, et plus particulièrement la peinture, attirent depuis l’enfance. Sa vocation innée se manifeste par  l’attrait  pour  les  formes,  toutes  les  formes,  les  plus  simples comme les plus élaborées.

A Quyang, sa ville natale, ce sont les reliefs contrastés des plaines et des montagnes. Ce sont aussi les témoignages laissés par l’artiste du VIIIe siècle Wu Daozi, et ce sont surtout les pierres aux formes étranges collectionnées par la plupart des habitants, et dont certaines,  dit-on,  seraient  exposées  au  musée  du  palais  impérial. C’est en  raison de ces  pierres  que  l’association  des sculpteurs de pierre a choisi la petite ville de Quyang et non Pékin, pour y établir ses réunions. Les sociétés de copie de sculptures antiques, elles, ont élu Quyang pour ses artisans, dont le savoir-faire est reconnu, et les prix moins élevés qu’ailleurs.

Enfin, ce qui fait la notoriété de Quyang, c’est un temple  l’empereur avait coutume de se rendre afin de se livrer à des rituels propitiatoires destinés à favoriser  le déroulement  harmonieux  de l’année à venir. La présence impériale a un effet direct très concret puisqu’elle    contribue    au    bon    entretien    de    la    ville    et    au développement de son urbanisme.

Enfant, Ermin vit aussi à Lingshan, où sa sensibilité aux formes reste toujours très vive. Il se souvient encore d’un joli petit pont au ras de l’eau, très différent des ponts à arc traditionnels. Il se souvient aussi de la statue du bouddha Cakiamuni, qui avait la réputation de stimuler la création. Ce qui  le  marque le  plus à  Lingshan, c’est  la céramique DING, qui donne son prestige à la ville. En effet, au Xe siècle, sous la dynastie des Song, on y fabriquait cette céramique monochrome réservée à l’empereur. Ce n’est que dans les dernières années de la dynastie qu’elle a été détrônée par la céramique RU, bleue et ponctuée de petits motifs irréguliers, que lui préférait le dernier empereur. Il y a quelques années, soucieux de préserver et de   consacrer   leur   valeur   historique,   le   gouvernement   local   a demandé   à   l’UNESCO   que    les   fours   de   cuisson   de    Lingshan deviennent patrimoine de l’humanité.

Ermin    Yang     insiste :     Quyang     et     Lingshan     ont     été déterminantes dans la formation de sa personnalité, de sa sensibilité et, par voie de conséquence, de sa vocation.

Cette  vocation  a  été  également  favorisée   par  son   milieu familial ouvert aux arts, à la poésie et, ce qui est moins connu, aux sciences. En effet, l’irrésistible attrait d’Ermin pour l’art n’exclut pas son  intérêt  pour  la  science,  transmis  par  son  père  ingénieur.  Au moment de la révolution culturelle, le talent de cet homme brillant lui a valu la jalousie du maire de la ville et des ennuis avec le pouvoir communiste, qui l’ont plongé dans un mutisme profond.

L’éducation

Assombrie  par  la  mélancolie  de  son  père,  l’atmosphère familiale   est   en   outre   alourdie    par   les   querelles    conjugales. Lorsqu’elles sont trop fréquentes, on envoie l’enfant chez sa grand- mère.  Mais  quand  il  rentre,  il  n’est  pas  bien  accueilli.  Peut-être encore animé de leur colère réciproque, les parents traitent leur fils de sale gosse. Ermin ne cherche pas à approfondir la cause de leur mésentente : il se contente d’envier les voisins qui ne se disputent pas. Ces moments de tension sont cependant adoucis par la présence de son frère et de sa sœur avec lesquels il est alors très complice, et avec lesquels il est toujours en excellents termes.

Pas  plus  que   la  maison,  l’école  n’est  un  lieu  paisible.  Si l’enfant s’entend bien avec ses camarades, il n’en va pas de même avec les instituteurs. L’une d’eux l’a pris en grippe car il l’assimile à son frère très turbulent. « Un jour,  raconte  Ermin, elle a fait  une chose qui m’a dégoûté. Elle a jeté mon cahier comme si c’était un déchet. A partir de là, je n’ai plus rien fait. ». Les choses s’arrangent lorsque l’enfant passe au collège. Là, il a des professeurs différents. Certains l’ont marqué, et en particulier un professeur de chimie, qui a  stimulé  son  intérêt  pour  la  science.  Ermin  dit  que  s’il  avait  eu davantage de professeurs de cette qualité, il serait peut-être devenu un scientifique.

L’entrée dans les beaux-arts

L’initiation à l’art

Mais il n’en est pas ainsi. C’est vers les arts qu’Ermin se dirige. Au  lycée,  il  peint  déjà  et  participe  à  des  expositions.  Une  de  ses œuvres obtient même un prix du ministère de la Culture, qui lui vaut bien des jalousies. Après le lycée, le jeune artiste passe le concours d’entrée  à  l’Université,  une  épreuve  difficile.  Quand  les  résultats arrivent, Ermin s’aperçoit qu’il lui manque quelques points pour être reçu. Ces points, il les obtient finalement avec l’appui de M. Zhang, un  professeur  qui  est  peintre  lui-même.  Sans  doute  sensible  au

travail et à la personnalité du candidat, il choisit de l’aider, mais en toute légalité, car les professeurs avaient alors le droit de rattraper les élèves qu’ils jugeaient méritants. Ermin reste très reconnaissant à M. Zhang de lui avoir donné ce coup de pouce salutaire.

Le service militaire

A 16 ans, Ermin voit une affiche de propagande pour le service militaire qui dit : « Engagez-vous ». Cela suffit pour qu’il se lance. Toutefois, il ne veut pas faire son service n’importe  : il veut aller à Kunming, une grande ville du sud-ouest,  l’on n’a pas affaire à des soldats ordinaires, mais à des hommes cultivés, des intellectuels, ce  qui  rend  l’atmosphère  générale  agréable.  Ermin  est  chargé d’exécuter  des  œuvres  de  propagande  pour  l’armée.  Une  fois  sa tâche accomplie, il travaille à son œuvre. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, cette double activité ne le gêne pas. Le peintre de propagande ne nuit pas à l’artiste. Au contraire : d’un certain point de vue, il le sert. Ermin considère en effet avec le recul ce service militaire artistique comme un exercice profitable, qui lui a permis de parfaire sa technique à une période où il était encore bien immature.

Le parti communiste

Le communisme est un engagement de jeunesse qui a compté dans la vie d’Ermin. Il s’inscrit à 18 ans au parti communiste chinois, à une époque où, se souvient-il, « on pensait qu’entrer au parti était utile ; ça ouvrait les portes, ça facilitait votre carrière et ça réglait certains problèmes. C’est vrai. Mais, ajoute-t-il, j’ai aussi adhéré au parti par conviction. Au moment  j’y suis entré, s’il y avait eu la guerre,je laurais faite. Par devoir, j’aurais donné ma vie. »

Ermin n’est plus au parti communiste depuis les années 90. A cette époque, il était souvent au Japon et avait oublié de s’acquitter de sa cotisation. En raison de ce défaut de paiement, il a été rayé des listes des adhérents.

Un artiste et un esthète

Tout en étant profondément attaché à sa culture chinoise, Ermin se présente volontiers comme un citoyen du monde qui, bien qu’il ne parle que sa propre langue, se sent chez lui partout  il va. Et  d’ailleurs,  il  va  partout.  Voilà  longtemps  que  sa  célébrité  l’a conduit à beaucoup voyager. Notons qu’il est également marié à une

Japonaise avec laquelle il a un enfant, qu’il dit très occidentalisé, très tourné vers la culture américaine mais, regrette-t-il, pas vers l’art.

Ermin, lui, est plus que jamais voué à l’art. Depuis plusieurs années, il est considéré comme un maître de la peinture au lavis, une renommée amplement justifiée.

Estimant  que  le  lavis  traditionnel  ne  convient  plus  à  la  Chine contemporaine, ill’a modernisé en mêlant l’encre et la couleur. Cette audace a pour effet de donner à ses paysages, ses portraits et ses natures mortes, une intensité chromatique inédite. « Nous vivons dans un monde de la couleur, dit-il, pourquoi la peinture au lavis devrait-elle se  limiter  à  l’utilisation  de  l’encre ? ».  Sa  curiosité  l’a poussé  à  explorer  d’autres  domaines :   la  gravure  sur   bois,   la calligraphie, plus récemment la sculpture, et même la poésie, dont une de ses tantes lui a donné le goût.

Artiste, Ermin est aussi un esthète à sa manière. Il possède une riche collection de  pierres à encre dont il est légitimement fier, mais qu’il ne garde pas jalousement pour lui. Il en fait au contraire profiter le public en l’exposant régulièrement. Tout récemment, il s’est même dépossédé d’une pièce ancienne pour l’offrir au Pape François,  qui  s’est  montré  enchanté  de  ce  don  aussi  précieux qu’original.

Ermin cultive également le beau dans sa personne en donnant à son corps mince une allure altière, et en le parant de vêtements aux   fantaisies   subtiles :   chemises   colorées,   vestes   graphiques, bagues ailées, chapeaux à larges bords. Avec une grande habileté, Ermin tire parti de toutes les données de la nature, même quandelles se   présentent    comme   un    défaut.   C’est    le   cas    de   la    petite protubérance  érigée  au  sommet  de  son  crâne.   Loin  de   la  faire disparaître, il en fait une marque distinctive, presque un ornement, qu’il  met  en  évidence  dans   un  autoportrait  stylisé.  Après  tout, pourquoi  cacherait-il  cette  anomalie  sommitale  qui  ressemble  à l’usnîsa, un des signes de la sagesse du bouddha ?

Qu’on se rassure, Ermin ne se prend pas pour une divinité et ne fait pas profession de sagesse. Il se contente d’être un homme libre,  un  esthète  élégant  et  un  artiste  très  talentueux  aux  yeux largement ouverts sur le monde.

(*) Spécialiste de la littérature française du XIXe siècle, agrégée de lettres,    Marie-Christine Natta est l’auteur d’une thèse sur le dandysme chez Barbey

d’Aurevilly. Elle est aussi l’auteur d’ouvrages, d’articles et d’éditions critiques sur le dandysme et la mode.

Parmi ses publications, citons deux essais, l’un sur Alexandre Dumas, Le

Temps des mousquetaires (Paris, Le Félin, 2005), l’autre sur le dandysme, La Grandeur sans convictions (Paris, Le Félin, 1991.  rééd., 2011). Citons

également deux biographies, l’une d’Eugène Delacroix (Paris, Tallandier,

2010) et une autre de Baudelaire (Paris, Perrin, 2017), ouvrage qui a obtenu le Prix de la Biographie Le Point en 2018.

Dans la lignée de ses travaux précédents, Marie-Christine Natta prépare en ce moment un livre sur le dandysme de Serge Gainsbourg.