Tout ce qu’il me reste de mon enfancesont des souvenirs de moi en train de dessiner surce qu’on appelait du papier fenêtre à l’époque, une feuille de papier debambou en couleur jaune et à marge irrégulière. Certains garçons s’amusèrent àchercher la bagarre, mais pas moi. Je ne fus pas si courageux.
Je dessinai le tigre d’après le chat,ou copiai des images de bandes dessinées, des fois je prisune fleur ou une branche comme modèle, sans savoir ce qui s’appelle le« dessiner sur le vif ». Puis on me donna lesPrécis de peinture du Jardin du grain de moutarde (《芥子园画谱》), je y découvrismon trésor! Parmi tous les tomes, mon préféré fut la Peinture de paysage. Je l’avaiscopiétellement de fois que je le connais par cœur,même maintenant je peux le reproduire page par page. Je n’eus pas de grande ambition, ma seule satisfaction était de peindre. Comme il y avait une fabrique de porcelaine Ding Yao proche de chez moi, mon premier souhait fut de travailler en tant que peintre-potierà la fabrique.Ce fut une fabrique d’État, fondéepar le Département de l’Industrie Légère de la province de Hebei, sous la directive de l’ancien Premier Ministre ZHOU Enlai. Elle avait pour l’objectif de restaurer le four Ding Yao – l’un de cinq célèbres fours impériaux à porcelaine de la dynastie Song. Le directeur technique de la fabrique,M. ZHANG,est mon premier maître de peinture.Il fait une admirable peinturefigurative de fleurs et oiseaux du style libre. Malheureusement, la fabrique fut évacuée avant que j’aie atteintl’âge propre, ainsi fut anéanti mon souhait d’être un peintre artisanal.
À l’âge de quinze ou seize ans, on m’a dit que désormais pour devenir un peintre il faut passer par l’École des Beaux-Arts. Pour cela, mon troisième oncle m’a amené à la rencontre d’un professeur réputé.En examinantla peinture traditionnelle que j’effectuai, le professeurn’y tarit pas d’éloge ; il m’avertit toutefois que cela ne me servit guère pour l’admissionà l’École des Beaux-Arts dont la critère de sélection étaitla maîtrise du dessin et des couleurs, celle de la peinture traditionnelle ne compta pas. Je fus bouleversé.Un peu plus tard, il s’avère queje fus admis à titre exceptionnel par l’école d’art de l’Université de Baoding. À ce propos je dois remercier le doyen de la faculté, professeur ZHANG Zhiyou pour son insistance et encouragement avec enthousiasme, sans lesquels je n’aurais pas pu saisir cette opportunité. Pour cette admission spéciale (une occasion rare et précieuse, on m’avait dit, pour une première fois à Hebei), jedus renoncer à l’offre de formation professionnelle équivalenteà Beijingà l’Académie Centrale des Beaux-Arts.À l’université, on commença par le cours de dessin.Je fus pratiquement le dernier dans ma classe. À cette époque j’admirai énormément les gens qui savent dessiner, une admiration qui marque toute ma vie!
Deux ans de l’université se terminèrent très vite, j’y restai et devins un professeur. Je fus tuteur, chargé du cours de la peinture de paysage et du dessin. Avant d’aller à l’université, j’avais reçu un prix au Salon National des Beaux-Arts, un prix décerné conjointement par le Ministère de la Culture de Chine et l’Association Nationale des Artistes Chinois.Ce fut une première fois depuis 1949 que l’on ait reçu un tel honneurà Baoding.Pour cela, M. CHEN Baorong, le directeur du Bureau de Culture de Baoding, qui devint plus tard le directeur du Département de Culture de la Province de Hebei, me rendit une visite à mon atelier. Il rencontra ainsice grand garçontrès réservé, même dans mes expressions de politesse.
Été 1995, dans mon atelier de l’Université de Baoding, je réalisai ce qui est pour moi une œuvre emblématique: « Fleurs » (ChrysanthèmeBlanc, 白菊花). En 1997, Mme. LUO Li de l’Académie Nationale des Arts de Chine, directrice de la Galerie de Beijing Concert Hall, vit mon œuvrependant une visite à Baoding. « Aimez-vous avoir une exposition à Beijing ? », elle me demanda. « C’est trop bien ! », répondis-je. À l’occasion de cette exposition, elle invita Mme. TAO Yongbai et M.JIA Fangzhou à contribuer des articles de critique.
Dans les années 90s, j’allai exposer à une galeried’art à Nagoya. Mon atelier se trouvaà Shinsakae,dans un bâtiment de trois étages.Derrière le bâtiment il y avait un énorme eucalyptus centenaire, dont le houppier couvre une surface de presque la moitié du champ de football. La terrasse en arrière d’atelierétaitenvahie par la liane, tout comme la façade de l’ouest. Caché dans l’enchevêtrement des lianes,il y avait un nid d’abeilles à l’angle nord-ouest au dernier étage du bâtiment. Deux ou trois ans après mon arrivée, je découvris du miel coulé d’un coin du toit, depuis, je le revis chaque été. Ce fut un énorme plaisir pour moi, même si je ne le goûtai jamais.
Lorsque j’étais au Japon, je fus également distrait par d’autres inspirations que la voie de peinture : à un moment donné j’eus envie de poursuivre mes études à l’Université de Bouddhisme (BukkyoUniversity) dont l’une des disciplines importantes est l’étude des manuscrits Zen. Ce qui m’intéressa le plus,c’était le fait qu’une fois diplômé, on put être tonsuré, ordonné et pratiquer en tant que moine pendant un an. Mais enfin, vue que l’étude des manuscrits Zen est une recherche spécialisée sur les écrits des grands prêtres bouddhistesà travers les siècles, ce qui est assez loin de mon champ d’intérêt, je dus le renoncer. Ce futpeut-être aussi par souci de ne pas pouvoir devenir un vrai moine.
En Juillet 1999, j’eus ma première exposition personnelle au Musée National des Beaux-Arts de Chine grâce à Mme. TAO Yongbai, qui était lacommissaire d’exposition. Ça fait vingt ans maintenant etje n’arrêt pas à réinventer ma création au lavis, allant de la pratique traditionnelle de l’encre de Chine à la révolution des couleursen poussant le développement de la peinture au lavis traditionnelle vers sa modernité.Dans ce processus de réflexion et d’expérimentations, la modernisation de la peinture au lavisest toujours le point clé de ma pensée.C’est à la fois la défense et l’avance vers l’avenir.En 2019 je voisune évolution importante dans mon travail.
Au moment où je rentrai en Chine, l’étude de la pensée et de la culture chinoise était un sujet d’actualité. Je commençai ma thèse sous la direction de professeur LIU Weidong à l’Université de l’Art de Nanjing. L’étude de la pensée etde la culture chinoise était un cours magistral fondamental, le professeur SHI Jincheng, à l’âge de quatre-vingt ans, nous donna des leçons précieuses sur la culture traditionnelle. L’objectif de mon doctorat n’était pas pour trouver un travail ni pour changer le milieu de vie, j’eus l’ambition de réaliser une thèseextraordinaire, pour cela je mis cinq ans au lieu de trois ans sur la recherche et la rédaction. Malgré mon ambition, à cause de multiples occupations triviales et à défaut de génie d’érudition éloquente, je dus accepter mes propres limites. Avec ce regret secret que je garde à moi-même, je fus diplômé de l’Université de l’Art de Nanjing.Par une heureuse coïncidence, cette année-làà l’UAN on inaugurale premierInstitut des Recherchessur la Nouvelle Peinture au Lavis en Chine, je fus nommé le directeur de l’institut.Hélas, j’éprouve également une grande confusion face à l’inactivité de l’institut.
En remontantles quarante ans de ma carrière en tant que peintre du lavis, j’aperçois trois périodes importantes: traditionnelle, moderne et contemporaine. Je les considère comme ma trilogie de peinture au lavis.
C’est mon rêve de faire revivre la tradition et l’essence de la culture chinoisedans une description réaliste et pertinente de l’actualité et de la vie mondaine d’aujourd’hui. Afin de trouver de l’eau pure et suave, dont la vraie source se cache dans l’épaisseur des couches rocheuses, nous devrons continuer à creuser et à interroger. Aujourd’hui j’ai un puits devant moi, je crois qu’en l’approfondissant je trouveraiune mer à quelques mètres plus profond.Ne laissons pas le paysage de notre patrie se figer et dégrader comme une photo du jardin. Pour la rénovation de la peinture au lavis de Chine, nous explorons de nouvelles formes, de nouvelles techniques, mais le problème fondamental réside dans l’esprit.
La grandeur de l’art demeure dans son infinité. En résumant les formes du passé et en les établissant en tant que règles et normes pour la création d’aujourd’hui (et demain), nous nous confinons dans une prison dessinée par nous-même. Ce dernier est l’attitude que l’on entend dans la voix unanime des médias. Pourtant, l’innovation de la peinture au lavis se situe en dehors de nos cadres d’expériences, ce n’est qu’ainsi que nous pourrons retrouver le sens de l’art et sa vraie grandeur.
Récemment je comprends enfin le sens de « la convergence dutemps cosmique, du milieu terrestre et de l’harmonie humaine ». À traverstoute ma carrière, à chaque épreuve je reçois du soutien de mon entourage, voire l’aide d’un inconnu. Je vous remercie tous : ma famille, mes amis, mes maîtres ;je vous remercie, mon ciel et ma terre !
2019.11.1